CASAS a quarante ans d’histoire
Le Service Social d’Aide aux Emigrants, la CIMADE, le Secours Catholique et Amnesty International à Strasbourg, quatre associations faisaient, chacune de leur côté, le constat d’une action insuffisamment spécialisée de leurs structures en direction des demandeurs d’asile rencontrés. Travaillant ensemble, des membres de ces organismes décident alors de créer une association moins institutionnalisée qui se consacre spécifiquement à la problématique de l’asile : CASAS naît le 28 décembre 1983, soit trois jours avant l’année 1984, ce qui explique que son quarantenaire soit fêté en 2024.
CASAS a connu, à ses débuts, des conditions matérielles quasiment héroïques puis moins difficiles les années suivantes mais, dans le même temps, une dégradation du contexte général pour les étrangers et les associations les aidant, et des modifications profondes intervenues dans le droit d’asile.
Evoluer dans un contexte qui se dégrade S’il est bien une chose qui ne risque rien à CASAS, c’est la mise à l’épreuve de nos capacités d’adaptation. Si nous comptons bien, il y a eu depuis la création de l’association quelque dix-neuf modifications législatives successives, soit environ une tous les deux ans. La première, datant de 1985 soit dix-huit mois seulement après la création de CASAS, marquait, selon Olivier Brachet de Forum Réfugiés, l’entrée en crise du droit d’asile, crise qui n’a cessé de se développer depuis.
Les autres temps forts de ces modifications législatives incessantes ont été :
- la loi de 1993 introduisant dans le droit français la législation européenne Schengen-Dublin sur les états responsables de la décision sur l’asile,
- l’ordonnance du 24 novembre 2004 qui crée un code spécial pour tout ce qui concerne les étrangers et le droit d’asile, le CESEDA, en vigueur depuis le 1er mars 2006. Ce code est la pierre angulaire du processus d’effacement institutionnel de la spécificité de l’asile.
- et d’importantes modifications successives et majoritairement restrictives en 2003, 2007, 2015 et 2018 et 2024… pour notre quarantenaire !
CASAS a dû évoluer dans ce contexte mouvant. Les premières permanences avaient été abritées par la CIMADE dans les locaux de l’AUP avenue de la Forêt-Noire, mais très vite l’association a déménagé dans la maison jaune du quai St Nicolas, d’ailleurs suivie peu de temps après par la CIMADE. Une grosse opération de rénovation immobilière, menée à bien en 1992 par Freddy Sarg, le président de l’époque, nous a permis d’améliorer sensiblement notre cadre d’action, de troquer les poêles à charbon à charger tous les matins, et dont les cendres devaient être vidées, contre des convecteurs électriques bien plus souples dans leur utilisation.
Ce fut au prix de quelques bouteilles de la cuvée « Casalis » que chacun s’est appliqué à vendre… et à boire, pour aider à financer la rénovation. La « maison jaune » évoquée dans le film « Les éclaireurs », mais baptisée en fait « Maison Georges Casalis » naissait.
Nos salariés, stagiaires et bénévoles Peu de temps avant, en 1991, nous venions de recruter la première salariée pérenne, grâce aux subventions accordées par la Mairie de Strasbourg. Devenue la cheville ouvrière de CASAS, Pascale Adam-Guarino a dépassé les trente ans au service de l’association, avec un enthousiasme et un engagement intacts. Malgré des recrutements divers de salariés qui, même sans être à plein temps, ont atteint le chiffre respectable de huit au meilleur des finances de l’association, cette dernière n’aurait jamais pu exister sans les bénévoles qui l’ont fait fonctionner pratiquement sans aide pendant sept ans, puis qui ont assuré des tâches de traduction, de rédaction, d’enseignement, d’accueil, de travail administratif et d’animation avec une fidélité, un professionnalisme et un sens des responsabilités qui n’ont jamais fléchi durant toutes ces années. Bien des fois, ce sont des personnes aidées par CASAS qui ont souhaité par la suite lui venir à leur tour en aide ! Actuellement ce sont près de 200 bénévoles qui bon an mal an accueillent le millier de demandeurs d’asile qui gravitent en une année à CASAS.
Du reste, c’est un des miracles de CASAS que cet engagement continuel de nouveaux stagiaires et de bénévoles, alors même que le vent a tourné et que nous luttons actuellement pour notre survie. Le contexte de l’accueil des demandeurs d’asile s’est considérablement durci depuis la création de l’association et, à bien
des reprises, CASAS a dû monter au créneau pour défendre, dans la mesure du possible, des conditions à peu près décentes pour l’hébergement et l’accueil des exilés. Les « accompagnateurs » qui aident à la mise en forme des recours s’appellent ainsi parce qu’à l’origine, ils accompagnaient les demandeurs d’asile à la Préfecture pour que leur dossier soit pris en compte. Nous avions remarqué que des personnes aux cheveux blancs respectables étaient les plus efficaces dans ce domaine.
De nouvelles missions et de nouveaux contextes
Par la suite, ce sont surtout les conditions d’hébergement qui ont provoqué des manifestations de protestation, des interventions auprès d’élus ou d’officiels, avec plus ou moins de bonheur selon les périodes. Mais les résultats ont été incontestables même s’ils n’étaient pas toujours à la hauteur des besoins. Simone Fluhr, une de nos anciennes salariées, y a beaucoup contribué, entre autres avec les films qu’elle a inspirés et/ou réalisés avec Daniel Coche, dont le dernier concernant notre travail, « Les éclaireurs ». L’hébergement est un problème qui depuis 25 ans n’a cessé de s’aggraver, laissant à Strasbourg des centaines de personnes à la rue
dont de nombreux enfants, malgré tous les efforts et la solidarité de particuliers, impuissants devant l’ampleur prise par le phénomène et l’indifférence de l’État.
Les relations avec les administrations et l’État se sont transformées. Les subventions européennes nous ont donné bien du fil à retordre et c’est en 2012 que nous avons cessé d’être un partenaire officiel pour ne devenir qu’un sous-traitant local. Cela nous a contraints à devoir nous contenter de trois salariés à temps plein et trois à mi-temps. Pour l’instant nous nous battons pour essayer d’assurer uniquement, dans des délais de plus en plus difficiles à tenir, les recours à la CNDA (Commission Nationale du Droit d’Asile).
Nous n’aidons plus à la rédaction du premier récit, actuellement réalisé au sein de la plateforme d’accueil locale financée par l’État et portée par le Foyer Notre-Dame. Si pour le moment nous contribuons cependant à argumenter les recours des demandeurs d’asile non hébergés, c’est bien grâce à la conviction et au dévouement
des salariées et à l’engagement sans faille des bénévoles : qu’ils en soient ici tous très chaleureusement remerciés.
Nous avons quitté avec nostalgie fin 2015 la « maison jaune » qui nous avait si longtemps abrités pour la Maison protestante de la Solidarité. Nous sommes toujours voisins de la Cimade mais maintenant aussi de la SEMIS et du Centre Social Protestant avec qui nous travaillions depuis longtemps. Nous ne sommes plus soutenus par des fonds d’État, pourtant seul compétent dans le domaine de la demande d’asile, et nos ressources sont désormais constituées de l’aide des collectivités locales, et de fonds privés, notamment des dons de particuliers en
argent et également en temps.
En matière juridique, nous pensions avoir touché le fond avec la réforme de 2015, censée transcrire dans le droit français les directives européennes sur l’accueil, alors qu’environ la moitié des demandeurs d’asile ne disposent toujours pas d’hébergement. Mais la loi de 2018 est arrivée à pousser encore plus loin les demandeurs dans la précarité : délais de rétention allongés sans égard pour l’absence d’efficacité et le coût de ces délais, choix trop précoce d’une langue obligatoire et non modifiable, recours non suspensifs, etc. La récente réforme de 2024 (dite loi Darmanin) qui prévoit la décentralisation de l’OFPRA et de la CNDA et un juge unique pour cette dernière augmente encore l’arbitraire des décisions. Et ce n’est pas le pacte européen sur la migration et l’asile qui va améliorer les choses. Sans abolir le problématique règlement Dublin, coûteux et
inefficace, prévoyant le renvoi vers le premier pays traversé, ce pacte devrait permettre de compenser financièrement le non accueil. Il donne également des moyens financiers renforcés pour éloigner de l’Europe les candidats à l’asile en les faisant recevoir par des pays extérieurs tels la Turquie ou la Tunisie, contre rémunération : les clôtures de barbelés sont renforcées par des remparts financiers.
Face à cette conjoncture, qui n’empêche nullement les demandeurs d’asile d’arriver mais leur ajoute sans cesse de nouveaux obstacles, nous avons aussi adapté notre action en multipliant les interventions individuelles ou en tout petits groupes pour le suivi scolaire ou l’apprentissage de la langue, les actions culturelles et les sorties, tout en continuant l’accompagnement administratif et juridique au travers de nos permanences et rendez-vous. La période du Covid a été extrêmement éprouvante pour nos équipes, dont bon nombre de membres ont été malades, et pour les demandeurs d’asile qui se sont trouvés brutalement privés de tous les contacts qui leur permettaient de participer à une vie sociale. Mais l’équipe a su développer des trésors d’ingéniosité pour réorganiser l’accueil et l’accompagnement des demandeurs. Depuis la reprise des activités, les groupes d’animation ne désemplissent pas et la joie de se retrouver ne s’estompe pas rapidement. Si l’avenir ne semble pas peint en rose, nous faisons confiance à nos équipes et à nos capacités d’adaptation pour pouvoir continuer à rendre plus sûr et plus humain le parcours des demandeurs d’asile qui arrivent dans notre région.